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Les héros

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Un jeune manifestant en corps à corps avec deux militaires, cette photo des échauffourées du 30 octobre dernier au Burkina Faso a fait le tour du monde. Entre commentaires et partages de statut sur Facebook, Lassina Sawadogo puisque c’est de lui qu’il s’agit, fait le buzz malgré lui. La
quarantaine, marié et père de deux enfants, Monsieur Sawadogo est inspecteur des impôts, footballeur à ses heures perdues et sankariste jusqu’à la moelle. Entre deux dossiers, il nous a reçu à son bureau. Témoignages empreints d’humilité d’un des héros de la lutte contre la tenue du Référendum au Burkina Faso.


Monsieur Sawadogo, c’est quoi la petite histoire de ce corps à corps sur la photo qui a fait le tour du monde ?

Aujourd’hui je suis pratiquement gêné quand je donne des interviews parce que j’estime que cette image- là effectivement a été véhiculée comme le symbole de la bravoure de la jeunesse burkinabè. Une jeunesse qui a osé affronter les forces de l’ordre pour un changement au Burkina. C’est juste un instantané mais de millions d’autres burkinabè en ont fait autant. Sinon plus. Certains d’ailleurs y ont perdu la vie. Moi j’ai été plus chanceux. Et c’est à eux que je pense quand je reçois les messages de félicitations et d’encouragement. Et aussi à tous ceux- là qui se sont battus ce jour- là.

Pour revenir au contenu de l’image, disons qu’à l’appel de mon parti, notre nouveau regroupement le Front Progressiste Sankariste (FPS), j’ai répondu. J’habite le quartier Nangrin qui est à 12 kilomètres du centre ville. J’ai un véhicule mais ce jour- là j’ai décidé de venir à pieds. Pour répondre à l’appel qui demandait qu’on prenne d’assaut l’Assemblée nationale pour empêcher la forfaiture qui était préparé (…) Vers 08 heures la population est sortie et on s’est réorganisé pour prendre d’assaut l’Assemblée nationale. Je faisais partie de ce groupe- là. Après la prise de l’Assemblée nationale, on s’est dit que ces gens- là, s’ils ont toujours la maîtrise de la télévision nationale, sont capable de venir faire de la désinformation, de la propagande et on ne sait pas ce que ça peut donner. On a donc décidé d’aller occuper aussi la télévision nationale. On le sait aujourd’hui, tant que vous n’avez pas les moyens de communication avec vous, ce genre de situation peut balancer à tout moment. Le premier groupe qui est arrivé à la télévision nationale, on n’était pas nombreux et c’est là qu’on a affronté les RSP (les militaires du régiment de sécurité présidentielle, corps d’élite de l’Armée, ndlr). C’est juste cette action qui a été photographiée à mon insu. Ils étaient deux sur la photo mais il y avait un troisième qui n’apparaît pas sur l’image mais qui venait aussi sur moi. Naturellement comme on l’a dit, on n’était pas près de reculer ce jour- là. On savait déjà qu’il y avait des morts vers chez François (le petit frère du Président déchu, ndlr), donc on s’est dit qu’on est sorti pour une cause et il ne faut plus reculer. Il y avait d’autres camarades qui étaient là qui se battaient contre eux. Il y en avait même un à terre, il était tout seul et deux soldats le piétinaient. C’était difficile à voir. En fait c’est lui que je partais défendre et les militaires sont venus sur moi. Je me suis donc arrêté, prêt à me défendre ; j’ai reçu des coups et je me suis défendu aussi. Heureusement le gros de la troupe des manifestants est arrivé par la suite et les militaires que vous voyez ne sont pas restés longtemps.

 il y a eu échange de coups entre les militaires et vous ?

Naturellement ! J’étais dans une posture où je ne pouvais plus reculer. Il fallait que je me défende. J’ai toujours quelques cicatrices mais ce n’est pas grave quand on sait que certains y ont perdu la vie. Je n’ai pas non plus été hospitalisé contrairement à d’autres qui ont eu moins de chance et qui y sont toujours malheureusement.

Quand on dit que la presse c’est le quatrième pouvoir, voilà une image de quelqu’un qui est habituellement anonyme,… je travaille dans la politique depuis bien longtemps, j’ai toujours été dans les bureaux exécutifs, j’ai toujours très souvent été candidat aux différentes élections et je fais de mon mieux mais je n’étais pas au devant de la scène. Voilà un arrêt sur image qui m’a propulsé au devant de la scène occultant même un peu le travail de beaucoup d’autres. Je pense au mouvement Le Balai citoyen à qui je rends hommage pour sa bravoure dans cette situation- là. C’est vrai qu’avec les partis politiques ce n’est pas toujours facile mais ils ont donné du courage à beaucoup de gens et moi je ne peux que les féliciter pour ce qu’ils ont fait.

Vu les difficultés que vous avez connues, est- ce que vous êtes prêt à recommencer si les choses étaient à reprendre ?

Je vous ai dit que j’ai fait 12 kilomètres à pieds pour le ralliement. Beaucoup ont certainement fait plus. C’est vrai que certains sont surpris en apprenant que c’est même un inspecteur des impôts qui de la famille, mais ce que certains ne savent pas c’est que c’est aussi un responsable de parti politique. Quand je quittais, mon papa qui réside à Bobo Dioulasso ne cessait de m’appeler. Il le faisait toutes les 20 minutes pour me supplier de ne pas y aller. Je lui ai tout simplement répondu que c’est nous qui avons demandé aux enfants des autres de sortir pour prendre d’assaut l’Assemblée nationale. Il fallait que nous nous mettions devant pour donner l’exemple. Pourquoi on se mettrait en retrait pour laisser tuer les enfants des autres ? Je lui ai dit que ce n’était pas la peine d’insister parce que je ne pouvais pas reculer pour ce coup- ci. Quand je ne décrochais plus il appelait ma femme pour s’en inquiéter…bref ! On était prêt à tout. Quand vous demandez si je referais la même chose si c’était à refaire,…moi j’ai été pionnier sous la révolution. J’ai été pionnier sous la révolution quand j’étais élève à Bobo Dioulasso. C’était dans les années 1984- 1985 jusqu’à ce que j’aie le CEP (Certificat d’études primaires, ndlr). J’ai été reçu au concours pour l’envoi des enfants à Cuba mais ils ont préféré envoyer les enfants déscolarisés en lieu et place ; à l’Université j’ai milité dans les mouvements estudiantins et dans le monde du travail j’ai naturellement choisi un parti sankariste parce que j’ai été bercé dans le sankarisme. En 2014 ça ne pouvait pas se passer autrement parce que Sankara le disait en son temps, vous m’éliminez mais de millions de Sankara naîtront. Vous vous rendez compte que ce sont les millions d’enfants de Thomas Sankara qui ont grandi maintenant ? C’est les millions de Thomas Sankara qui ont atteint la maturité et qui ont décidé de prendre leur destin en main. Voilà un peu le sens de notre engagement et je pense que si c’était à refaire, pour les mêmes raisons, nous le referions.

« Je ne reçois pas moins de 100 à 150 demandes d’amitié par jour sur Facebook »

Ce que je voudrais ajouter c’est que depuis la publication de l’image, je ne reçois pas moins de 100 à 150 demandes d’amitié par jour sur mon facebook ; les messages de félicitation et autres, je ne peux pas les dénombrer, je ne peux pas répondre à tout le monde. On m’envoie des messages de partout, certains demandent mon numéro pour échanger directement avec moi. Quand j’accepte de répondre à tous les journalistes c’est parce que tout simplement je me suis dit qu’on ne peut pas accéder à tous les jeunes burkinabè qui ont combattu ce jour- là pour échanger avec eux, pour magnifier leur bravoure. Et comme mon image a été publiée sur le plan mondial, j’ai accepté de m’exprimer au nom de tous ces jeunes qui ont été très braves, très courageux et ont accepté de se sacrifier.

Maintenant que les choses semblent rentrer dans l’ordre, quelles sont vos attentes quant à la conduite du processus de transition ?

Tout mon souhait c’est que déjà on résolve cette question de la remise du pouvoir aux civils. Il faut effectivement qu’on démilitarise la gouvernance burkinabè. Que l’ensemble de la classe politique trouve une solution à la transition et que cette transition soit la plus paisible possible. J’ai une pensée pour ces militants du CDP, de l’ADF/ RDA (ex parti majoritaire et son principal parti allié, ndlr) et leurs responsables qui ont failli à un moment donné. Aujourd’hui ils ont subi beaucoup de pertes et on a restreint leur liberté sans doute comme ils le faisaient en son temps ; mais je crois que pour que tout reprenne, il faut que les gens apaisent leurs cœurs. Que ce qui s’est passé soit rangé parmi les effets collatéraux de la quête de la démocratie pour aller de l’avant. A eux aussi il faut de la modération dans le ton, sinon le retour à la normale sera difficile. Je pense aux opérateurs économiques également. J’avoue que je ne suis pas du tout d’accord avec les pillages qu’il y a eu. C’est vrai, beaucoup sont du pouvoir ou des proches du pouvoir…je lisais hier (L’interview a été réalisée le mercredi 05 novembre) que EBOMAF a perdu près de 02 milliards dans les dégâts. Mais ! Vous pensez que EBOMAF aura du mal à vivre avec ce qu’il a gagné ici ou même à l’extérieur ? Non ! Par contre on a des parents de ces jeunes qui travaillaient à EBOMAF. Ces gens- là risquent d’être au chômage pour un bout de temps. Il y a des parents qui travaillaient dans d’autres entreprises qui ont été sinistrées, ces parents risquent d’être au chômage un bout de temps. On aurait pu éviter ces dégâts.

« Que les héros nationaux soient enterrés au monument route de Kosyam »

Autre chose que je voulais ajouter, c’est par rapport à nos martyrs. Je ne dirais pas martyrs, moi je les appellerais les héros nationaux qui sont tombés les armes à la main. Mon parti n’a pas encore fait de suggestion dans ce sens donc je parle en mon nom propre. Personnellement si je dois dire quelque chose c’est que je souhaiterais que nos martyrs soient enterrés au monument des héros qui se trouve sur la route de Kosyam (palais présidentiel, ndlr) à Ouaga 2000 ; et qu’on y élève des stèles à leur nom pour que tout chef d’Etat, tout président du Burkina Faso qui prendra la route pour entrer dans son palais, sache qu’aujourd’hui il a eu cette liberté d’accéder au palais du fait du sacrifice de ces personnes. Et naturellement comme certains le disent, on ne fera pas l’économie d’un deuil national.

Propos recueillis par Samuel Somda
Lefaso.net